La grange

- Livret -





***



Prologue


quand on entre
c’est éparpillé

chaque petit bout un
ciel à ouvrir

c’est dangereux

on peut tomber
entre deux mondes



vaudrait mieux léviter






on a codé une tempête
pour engendrer la décroissance assurée
du programme établi

je vous épargne les détails
mais j’admire l’audace


ça a fonctionné


maintenant
assis
j’ai le temps

je garde en vie
des objets inconnus


j’écoute ma grange





***



1.

Dans la grange,
j'assemble mon drone


dans ma grange il y a

du café et des biscuits en boîte
de petites briques en plastique
des costumes de fête
des écriteaux des échelles des échafauds

des objets à moteur
de taille modeste

des cônes de cuivre
pleines de hanches et de clés
des valves des tubes
des bols à peau tendue
des armes à crins de cheval
des cercueils de son


doucement là


comment ça fonctionne
tout ça?







qu’est-ce que tu fais, Jude?



je fabrique un drone



et ici, c’est quoi?



la grange de l'ancêtre



l'ancêtre, il faisait quoi?



il gardait la forêt
en costume de guerre



à voir les photos que j’ai
il parlait noir et blanc







***



2.

Dans la grange,
mon drone ne vole pas haut


je flotte
à quelques pouces du sol


du coin de la pièce
j’entre dans les détails


qui trainent
s’enroulent
s'invitent
entre les craques
du dehors


quand la statique jaillit du manque d'espace
ça s’active


on dirait que ça veut sortir d’ici


j’opère lentement
dans un monde qui renait






tous les tambours sont des harpes


quand leur note décolle
pour redevenir du verre
frotté
c’est tout un monde de sable
qu’on souffle

des baleines et des biplans
dorés

une grande ville d’avant
et une famille

qu’on dirait superposés


je ne sais pas si j’angoisse ou si je me détends
mais ça monte
en nous

tendres boutons




***



3.

Dans la grange,
mon drone s'emporte


quand on agrandit
l’assiette la ville
on voit la famille
le cliquetis des couverts
des machines dans la rue


la vie vibre aux
tintements des marteaux

aux chars d’assaut qui complotent
sur la pointe des pieds

à main levée
derrière des drapeaux
pris au sérieux






suspendu bien haut
je scande au futur
la vie passée
de mon drone

mes bras sont ses hélices
à sculpter de grandes tours
solides dans nos prouesses
de début de siècle


j’écorche le plafond
gratte la mousse
brave la rouille


ni casque ni sangle ni rien


faisant fi de ses cris
pourtant clairs

jusqu’à trop tard






dans quelle chimie
se développent les images
de l’entre-deux?

les adultes appellent ça
un espace liminal

les enfants eux
s’y lovent pour survivre



***



4.

Dans la grange,
mon drone renait


c’est son silence
d’échec
qui me rappelle
sa vie






dans la respiration des souvenirs
les yeux clos
j’essaye l’accord primitif
que ma mère offrait
aux voix de mon enfance

en cercle pour s’accorder
les humeurs


aux chœurs d’amateurs
les nuances de la vie


j’entends le vol de mon drone
parmi les erreurs des premières fois
comme on découvre la profondeur d’un étang

cuivre à corps
et tempéré vers le bas


c’est peut-être là le secret
d’une naissance en faiblesse



***



Hors la grange,
mon drone voit loin


à un moment voilà
ça y est
la grange s’ouvre

tout s’éclaircit
se déballe en cadeau


on voit très loin


il manque d’encre


ça force les couleurs
au crayon-cire


vu d’ici
à vol de drone

tout ce qu’on est
parait possible






***



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